Idées noires Read online

  DumêmeauteurchezQuébecAmérique

  Adulte

  Touteuneviesurlesbancsd’école,2016.

  Ostende,coll.Littératured’Amérique,1994,coll.QAcompact,2002, coll.Nomades,2015.

  Nowhereman,coll.TousContinents,2013.

  Àdeuxpasdechezelle,coll.TousContinents,2011.

  Voyeurs,s’abstenir,coll.Littératured’Amérique,2009.

  Vousêtesici,coll.Littératured’Amérique,2007.

  MélamineBlues,coll.Littératured’Amérique,2005.

  Adieu,BettyCrocker,coll.Littératured’Amérique,2003.

  Fillionetfrères,coll.Littératured’Amérique,2000,coll.QAcompact,2003.

  Jenecomprendspastout,coll.Littératured’Amérique,2002.

  Vingtetuntableaux(etquelquescraies),coll.Littératured’Amérique,1998.

  MissSeptembre,coll.Littératured’Amérique,1996.

  LesBlackStonesvousreviendrontdansquelquesinstants,coll.Littératured’Amérique,1991.

  Jeunesse

  LaVraieVie,coll.Titan+,2016.

  L’ÉtrangePouvoirdeLéoLangelier,coll.Bilbo,2015.

  BienvenueàWawa!–Toutpleind’histoiressurlesnomsdeslieux,2014.

  LazareVollant,coll.Magellan,2014.

  ArthurProphète,coll.Magellan,2014.

  LeGuidedutricheur2–L’École,2013.

  Granulite,coll.Bilbo,1992,nouvelleédition,2013.

  Drôlesd’écoles!–Toutpleind’histoiresavecdesécoles,2013.

  Cocorico!–Toutpleind’histoiresquiparlentdeslangues,2013.

  •FINALISTE,PRIXDULIVREJEUNESSEDESBIBLIOTHÈQUES

  DEMONTRÉAL

  LeGuidedutricheur1–LesJeux,2012.

  Schlick!–Toutpleind’histoiresavecdesmots,2012.

  Hò,coll.Titan+,2012.

  •PRIXALVINE-BÉLISLE2013

  •FINALISTE,PRIXDUGOUVERNEURGÉNÉRAL2012

  •FINALISTE,PRIXDULIVREJEUNESSEDESBIBLIOTHÈQUES

  DEMONTRÉAL

  LaCagoule,coll.Titan+,2009.

  Lolasuperstar,coll.Bilbo,2004.

  Kate,quelquepart,coll.Titan+,1998.

  LeMatchdesétoiles,coll.Gulliver,1996.

  Guillaume,coll.Gulliver,1995.

  •MENTIONSPÉCIALE:PRIXSAINT-EXUPÉRY(FRANCE)

  SÉRIEKLONK

  12titresparmilesquels:

  KlonkcontreKlonk,coll.Bilbo,2004.

  LeTestamentdeKlonk,coll.Bilbo,2003.

  SÉRIESAUVAGE

  Sauvage,sérieregroupée,2010.

  6titresparmilesquels:

  SalesCrapauds,coll.Titan,2008.

  LesHorlogesdeM.Svonok,coll.Titan,2007.

  ProjetdirigéparMarie-NoëlleGagnon,éditrice

  Conceptiongraphique:ClaudiaMcArthur

  Miseenpages:NathalieCaron

  Révision:IsabellePauzéetJulieTherrien

  ConversionenePub:MarylènePlante-Germain

  QuébecAmérique

  7240,rueSaint-Hubert

  Montréal(Québec)CanadaH2R2N1

  Téléphone:514499-3000,télécopieur:514499-3010

  Nousreconnaissonsl’aidefinancièredugouvernementduCanadaparl’entremiseduFondsdu livreduCanadapournosactivitésd’édition.

  Nous remercions le Conseil des arts du Canada de son soutien. L’an dernier, le Conseil a investi 157 millions de dollars pour mettre de l’art dans la vie des Canadiennes et des Canadiensdetoutlepays.

  Nous tenons également à remercier la SODEC pour son appui financier. Gouvernement du Québec–Programmedecréditd’impôtpourl’éditiondelivres–GestionSODEC.

  CatalogageavantpublicationdeBibliothèqueetArchives

  nationalesduQuébecetBibliothèqueetArchivesCanada

  Gravel,François

  Idéesnoires

  ISBN978-2-7644-3378-2(Versionimprimée)

  ISBN978-2-7644-3379-9(PDF)

  ISBN978-2-7644-3380-5(ePub)

  I.Titre.

  PS8563.R388I332017C843’.54C2016-942028-0

  PS9563.R388I332017

  Dépôtlégal,BibliothèqueetArchivesnationalesduQuébec,2017

  Dépôtlégal,BibliothèqueetArchivesduCanada,2017

  Tousdroitsdetraduction,dereproductionetd’adaptationréservés

  ©ÉditionsQuébecAmériqueinc.,2017.

  quebec-amerique.com

  Je m’en veux un peu d’avoir emprunté mon titre à Franquin, ce grand maître de la bande dessinée. Qu’on me permette, pour me faire pardonner, de rendre hommage au créateur du Marsupilami, du comte de Champignac, de Gaston et de tant d’autres personnages qui ont apportédelacouleur,durireetdelafantaisiedansunmondequienavaitbienbesoin.

  1

  LEBIJOU

  —Simplifions-nouslavie,veux-tu?Onseconnaîtbien,touslesdeux,non?Ça fait combien de fois que je t’arrête pour cambriolage ? Six ? Sept ? J’ai l’impressiondevivrelejourdelamarmotte.Huit?Neuf?

  —…Quec’estqueçachange?

  — Pas grand-chose, tu as raison… Disons sept, c’est un chiffre chanceux. Je supposequetuvasplaidercoupable?

  —…

  — Écoute-moi bien, Kevin. Tu as le droit de consulter un avocat, mais tu sais aussibienquemoiquetun’asaucunechancedet’entirer.Destémoinst’ontvu rôderdanslequartier.Ilst’ontmêmefilmé.Tuaslaissétesempreintesdigitales partoutdanslamaison.Pourquoitun’utilisespasdesgantsdechirurgien,aufait

  ? Ça se trouve dans toutes les pharmacies. La première fois, je pouvais comprendre,maislaseptième?Tuétaistropgelé?

  —J’suispasobligédeparler.

  —Biensûrquenon,maisçapourraitt’aider.Tut’enesplutôtbientiréjusqu’à présent,non?Laisse-moifeuilletertondossier…Unavertissement,uneremise depeine,unmoisdedétentionjamaispurgéparcequelaprisonavaitétérepeinte etquetuesallergiqueàlapeinture,tuasensuiteeudroitàdeuxmoisdeprison pour non-respect des conditions… Le juge a voulu te donner une leçon, cette fois-là, mais on dirait que tu ne l’as pas bien comprise. Tu es sorti au bout de

  deuxsemaines,ettuasrecommencéàvoleraussitôtsorti.Depuiscetemps-là,il yacommeun patterndanstavie:tucambriolesdeuxoutroismaisonssanste fairearrêter,tufaislafêtependantquelquessemaines,etpuistusniffesuneligne detrop,tutepensesle kingducambriolage,alorstudeviensmoinsprudentettu tefaisprendre.Tuteretrouvesendedanspourquelquesjours,maiscen’estpas siterrible:tueslogéetnourriauxfraisdelaprincesse,tutefaisdenouveaux amisaveclesquelstuéchangesdestrucsdecambrioleursetdebonnesadresses pouracheterdelacokeoudesfillespastropchères…Jenepeuxpasteblâmer: mespatronsfontexactementlamêmechose.Ilsappellentça«participeràdes colloques».Est-cequejemetrompe,Kevin?

  —J’saispastropc’estquoi,descolloques.

  — Tu ne manques pas grand-chose… Les gens sont stupides, non ? Ils demandentàleursvoisinsdevenirpelleterlaneigedeleurentréepourqueleur maison ait l’air habitée pendant qu’ils sont en République dominicaine, et la première chose qu’ils font quand ils arrivent à destination, c’est de se photographier la bedaine pour la mettre sur Facebook… C’est ta blonde qui te refilelesinformations,pas
vrai?LapetiteTiffany,quitravailledansuneagence devoyages?

  —…

  — Tu ne veux toujours pas parler ? C’est comme tu veux… Tes victimes auraientvoulut’inviteràlesvolerqu’ellesnes’yseraientpasprisesautrement…

  Laisse-moiquandmêmeteracontercommentças’estpassé,mêmesitulesais mieuxquemoi.Tiffanyt’adonnél’adressedelamaisondeBrossard,tuesentré ensoulevantlaporte-fenêtre,l’alarmes’estdéclenchée,maistut’enfous:ilne te faut même pas deux minutes pour trouver ce que tu cherches : bijoux, ordinateurs…Est-cequejemetrompe,Kevin?

  —Sivoussaveztout,pourquoiquevousmeposezdesquestions?

  — Parce qu’il y a quelque chose qui m’intrigue à propos des bijoux que tu as volés dans cette maison de Brossard. C’est juste un détail… Si tu veux m’en parler, j’indiquerai dans mon rapport que tu as pleinement collaboré avec la justice.C’estdanstonintérêt,Kevin.

  —Quec’estquevousvoulezsavoir?

  —Tuasrefilétouslesbijouxauprêteursurgages,saufun…

  —Jevoispascequevousvoulezdire.

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  —Jevaist’aider…Unpendentifenor…Unesortedepetitefioleaccrochéeà une chaînette, avec un couvercle qui se dévisse. Tu dois certainement t’en souvenir:onl’atrouvéecheztoi,àcôtédetonlit…

  —Ahoui,lapoudre…

  —Justement,oui…Qu’est-cequetuasfaitdelapoudrequis’ytrouvait?

  —Ben,jel’aisniffée,c’t’affaire!Unedosegratis,çaserefusepas.

  —C’estbiencequejepensais,maislavictimeduvoln’apasvoulumecroire quandjeluiaifaitpartdecettehypothèse.

  —…Commentça?

  — Ce n’était pas de la coke, Kevin. La victime avait fait fabriquer une urne miniatureparunbijoutier.Cequ’ilyavaitdanstafiole,c’étaientlescendresde sonépouse.Ilvoulaittoujourslesavoirprèsdelui,tucomprends…

  —…J’aisniffésafemme?

  —Onpeutledirecommeça,oui…

  —Wow!Jemedisais,aussi,quec’étaitmieuxqued’habitude.Méchantbuzz!

  2

  UNEQUESTIOND’ÉQUILIBRE

  Je suppose qu’on peut haïr cordialement un seul de ses parents et mener néanmoinsunevieéquilibrée,maisc’estsûrementplusfaciled’yarriverquand onlesdétesteégalementtouslesdeux.

  Monpèreétaitun«crosseur»,commeonditenbonquébécois.Uncrosseurde première, ajouterait un Français à demi intégré. Il a été successivement – et parfoiscumulativement–pèredominicain,masseur,agentimmobilier,médium, thérapeute, revendeur de drogue, chaman et préposé à la corruption dans une ville de banlieue. Je ne parle ici que des occupations dont il pouvait se vanter sansrisquerunearrestation.

  Ilavaitdel’énergieàrevendreetunincroyablepouvoirdepersuasion.Peut-être avait-ilaussid’autresqualités,maisellesm’échappentpourlemomentetjen’ai pasvraimentenvied’yréfléchir.

  Depuis quelques années, il avait abandonné la plupart de ses escroqueries habituelles pour se concentrer sur la Maison de l’Éveil, un ancien bed and breakfast qu’ilavaitachetépourunebouchéedepainettransforméencentrede méditation.

  Ilyaccueillaitchaqueétéuneclientèleforméeprincipalementd’enseignantsdu primaire,deconseillerspédagogiquesetd’employésdescommissionsscolaires qui déboursaient des fortunes pour avoir l’insigne privilège de venir y jeûner pendant toute une semaine. Il leur donnait parfois des conférences sur les

  chakras et les anges gardiens, mais préférait la plupart du temps inviter des conférenciers bien au fait des dernières nouveautés dans ces domaines et disposés à en parler à titre gracieux, trop heureux de partager leurs croyances idiotesavecdesgensquineprenaientpasaussitôtleursjambesàleurcou.Nos invités auraient-ils voulu s’enfuir qu’ils y seraient de toute façon difficilement arrivés:lapratiquedujeûnesapevitelesénergies,qu’ellessoientcosmiquesou non.

  Au bout de deux ou trois jours, ils étaient si faibles que mon père n’avait plus besoindesedémenerpourlesdistraire.Ilsuffisaitdelesinviteràméditerdevant un lever de soleil et le tour était joué. Au milieu de la semaine, ils restaient le plus souvent dans leur chambre, où la plupart d’entre eux, prévoyants, avaient dissimulédesbarrestendresetdesbiscuits,prouvantainsiqu’ilsavançaientsur lechemindelasagesse.

  Accordonsuneautrequalitéàmonpère:ilavaitlesensdesaffaires.Sesclients payaient pour jeûner. Il était difficile de trouver un meilleur rapport coût-bénéfice.

  Contrairement à mon père, ma mère croyait sincèrement aux chakras et aux pouvoirs des cristaux. Aussitôt qu’elle en parlait, cependant, elle perdait toute crédibilité.Leparadoxen’estpassiétonnant,quandonyréfléchit.

  Monpèreluiordonnaitdoncdesetaire,cequ’ellefaisaitvolontiers:elleadorait luiobéir.

  Le silence est d’or, dit-on souvent, et jamais le proverbe n’aura été aussi juste quedanssoncas.Elleétaiteneffetexperteensouriresextatiquesetenregards angéliques, et savait marcher comme si elle était figurante dans un rêve : on avait toujours l’impression qu’elle était portée par un nuage et que des anges tenaientlesplisdesarobetoutensoufflantdel’airparfumédanssescheveux.

  OnauraitdituneVénusdeBotticellipeinteparunartisteNewAgeatteintd’un léger Parkinson, ou une jeune fille en fleur photographiée par un David Hamiltonquiauraitmisunpeutropdevaselinesursalentille.

  Ma mère possédait aussi cette étrange faculté qu’ont les chats de donner l’impression d’apercevoir des choses invisibles pour nos pauvres yeux d’humains. Elle arrêtait parfois de marcher subitement et écarquillait les yeux

  tout en fixant le vide ; on aurait alors juré qu’elle avait accès à une autre dimensiondel’existenceetqu’ellecommuniquaitavecdesespritsbienveillants.

  Nos invités (il ne fallait surtout pas les appeler nos clients) y croyaient en tout cas dur comme fer. J’attribuais pour ma part ses absences à des épisodes épileptiques, mais peut-être aussi lui arrivait-il tout simplement d’avoir des idées.

  LaMaisondel’Éveilaffichaitcompletdudébutdemaijusqu’àlafind’octobre.

  Pendantlasaisonmorte,mesparentssepayaientparfoisdesvacancesenFloride ou en République dominicaine, mais la plupart du temps, ils restaient à la maison, où ils passaient leur temps à se saouler la gueule et à regarder la télévision en se nourrissant presque uniquement de pizzas congelées. Il leur arrivaitaussidelouerleurmaisonàdesproducteursdefilmsporno,cequileur permettaitdeprofitergratuitementdespectacles live.J’enfaisaisautantetj’yai même participé. C’était une façon facile de payer mes études (mes parents ont toujours refusé de payer mes droits de scolarité et détestaient l’idée que je fréquentel’université:yétaient-ilsallés,eux?etavaient-ilsréussileurvie,oui ounon?),maisjenelarecommanderaisàpersonne.Letauxdesuicidedesgens quipratiquentcemétierestencoreplusélevéqueceluidesdentistes.

  Mesparentsavaienteux-mêmesdesjeuxsexuelsélaborés.Monpèreemmenait

  régulièrementmamèreàlacave,oùillabâillonnaitetl’attachaitàdeschaînes disposées de telle façon qu’elle ne pouvait ni se coucher ni s’asseoir. Il l
’abandonnaitenneluilaissantqu’uneécuelled’eausalequ’ellenepouvaitde toutefaçonpasatteindre,leschaînesétanttropcourtes.

  Ilallaitensuitepasserlasoiréedansl’undesesbarspréférés,àMansonville,et nerentraitqu’aupetitmatin.

  Mamèreaurait-ellevoulucrierpourqu’onvienneladélivrerqu’ellenel’aurait pas pu : son bâillon était solidement attaché. Ajoutez à cela que la cave était parfaitement insonorisée, que le voisin le plus proche se trouvait à cinq kilomètresetqu’elleauraitdetoutefaçonpréférémourirplutôtqued’appelerà l’aide.

  C’estprécisémentcequiestarrivé,d’ailleurs:elleestmorteétouffée.

  A-t-ellefaitunfauxmouvement,a-t-elleglissé?A-t-elleeuunevision,entendu

  desvoix,aperçuuneaura?Personnenelesaurajamais.

  Quandmonpèreestrentré,ilavitedessaouléenlatrouvantmorte.Sonpremier réflexeaétédevenirmeréveillerpourquejel’aideàsedébarrasserducorps.

  Sans doute espérait-il ainsi faire d’une pierre deux coups en me rendant complice de son crime. Peut-être aussi escomptait-il me mettre sa mort sur le dos,d’unefaçonoud’uneautre.

  Ilaévoquél’idéedelancerlecorpsdansl’étangpoursimulerunenoyade,mais ilavitechangéd’idée:mamèreremonteraitàlasurfaceunjouroul’autreetil avait vu suffisamment de séries policières pour savoir que le médecin légiste s’apercevraitqu’elleétaitmorteétrangléebienavantdeseretrouversousl’eau.

  Comme nous n’avions pas les installations nécessaires pour l’incinérer ou la dissoudredansunbaind’acide,ils’estrésoluàl’enterrer,toutbêtement,etàla faireporterdisparueauboutdequelquesjours.Aumomentdepasseràl’action, il a cependant hésité : l’inconvénient de cette méthode était qu’il faudrait sans doute attendre très longtemps avant de toucher les assurances et il avait un brûlantbesoind’argent.